Texte par Dany Hoffman
Le retour vers Gondar fut épique. Un mini-van grand comme une Espace, rempli par dix-sept passagers. Soit une dizaine de trop. Des corps ensardinés. Douze heures de trajet, en pleine pénombre, sur des routes défoncées, sinueuses, caillouteuses – le plus souvent les trois à la fois. Une odeur entre le rat mort et le fennec, parfois pire. Toutes les fenêtres doivent rester fermées, en raison de croyances locales selon lesquelles des maladies peuvent s'infiltrer dans le véhicule depuis l'extérieur. Quant à mon siège, s'il est permis d'utiliser cette terminologie, il consistait en plusieurs planches de bois perpendiculaires, sur lesquelles je n'ai pu poser qu'une demi-fesse. En cumulé, nous avons dû « dormir » 15 ou 20 minutes dans la nuit.
Sales, épuisés, titubant, nous nous rendons malgré tout à notre rendez-vous du jour. Le docteur Rick Hodes nous attend dans son hôtel. Ce médecin américain, qui s’est spécialisé dans les déformations de la colonne vertébrale vit depuis les années 80 en Éthiopie. Il est le responsable à Gondar du Jewish Joint Distribution Committee (JDC), une organisation humanitaire qui apporte les soins essentiels aux familles Falash Muras candidates à l'émigration. Mais la plupart du temps, Rick est à Addis-Abeba, où il oeuvre pour le Mother Teresa Center, une mission de charité chrétienne. Rick est une figure connue et ultra-respectée dans tout le pays. Sa dévotion, sa détermination sans faille et son savoir-faire ont permis de sauver la vie de milliers de jeunes Éthiopiens, dont de nombreux cas gravissimes. C'est un hyperactif, qui n'hésite pas à arrêter des gamins en pleine rue, lorsqu'il remarque chez eux une maladie qu'il croit possible de guérir. Il y a quelques jours, il a croisé Tigalou, lors d'un dîner avec un confrère. Le jeune homme de 16 ans est atteint d'une tuberculose de la colonne vertébrale, un fléau aux symptômes impressionnants, très répandu en Éthiopie. Mais un fléau qu'il est possible de guérir au moyen d’une opération chirurgicale, généralement coûteuse. Ce matin, Tigalou est revenu vers le docteur Hodes, pour une série de tests respiratoires, que Rick effectue dans sa chambre d'hôtel. Les résultats révèlent un état de dégradation très avancé des capacités pulmonaires de l'adolescent. Mais Rick n'a bien sûr aucune intention de le laisser tomber. Une citation, empruntée à l'ancien président américain Théodore Roosevelt, apparaît sur l'ordinateur du docteur Hodes, qui résume sa philosophie : « Fais ce que tu peux, avec ce que tu as, là où tu te trouves. »
La journée, très riche et très lourde, s'achève vers 17h30, apres de multiples rencontres. Nous regagnons nos chambres, lessivés. Nous rêvons d'une sieste salvatrice. Mais les gérants de l'hôtel nous invitent à dîner dans leur patio. Ce soir, ce sera (une fois de plus) « injeera party ».